HA SI PHU,
POETE ET DISSIDENT DU VIETNAM
Ha Si Phu, de son vrai nom Nguyen Xuan Tu, naquit le 22 Avril
1940 au village de Dong Ho, circonscription de Thuan Thanh,
province de Bac Ninh (Nord Vietnam). Selon le principe
communiste de partage des classes, sa famille est classée comme
appartenant à la classe des "agriculteurs moyens de bas niveau"
c’est-à-dire celle qui n’a volé personne, lors de la phase de
réformes agraires déclenchée par Ho Chi Minh lorsqu’il
contrôlait tout le Nord Vietnam. Il débutait dans la vie comme
enseignant, se débrouillait et arrivait à obtenir le diplôme de
doctorat en biologie en Tchécoslovaquie. Nommé sous-directeur de
l’agence à Dalat de l’Institut des Sciences du Vietnam en 1988,
il n’avait pu rien faire, faute de moyens parce qu’il s’était
opposé aux agissements non conformes à la science de la part des
gens du parti responsables du service. Certains disaient qu’il
était mis à la retraite anticipée parce qu’il refusait d’adhérer
au parti.
C’était à partir de 1988 que, sous le pseudonyme de Tu Xuan, Ha
Si Phu commençait à écrire quelques courts poèmes dans le
magazine Langbiang avec une teneur quelque peu satirique sur sa
vie et celle des personnes de son entourage, mêlée toutefois
d’un caractère positif. C’est ce caractère qui a décidé le
remplacement de Tu Xuan par Ha Si Phu, les poèmes cédant alors
la place aux articles de discussion dont les plus importants
"Main dans la main marchons sous les panneaux de
l’intelligence", "Quelques réflexions d’un citoyen" et "Adieu à
l’idéologie" furent écrits de 1988 à 1995.
Le trait le plus saillant de tous ces articles se situe dans son
style de légère moquerie, ou bien à travers les exemples, les
témoignages, les procédés de poser le problème, ou bien par la
manière d’emploi de mot, d’arrêt de phrase, donnant ainsi aux
lecteurs un vif plaisir. D’autre part, ces écrits ne se
présentent pas uniquement sous forme de prose, mais des fois
sous forme de langage parlé et de dialogue, ce qui facilite la
compréhension du lecteur.
Rien que le titre "Main dans la main marchons sous les panneaux
de l’intelligence" déjà (1988) arrive à attirer l’attention des
lecteurs. Exactement comme a dit l’auteur "l’article ne fait que
d’évoquer et d’ouvrir, de fournir certaines connaissances de
base pour y réfléchir mais ne solutionne aucun problème concret
dans son ensemble". L’auteur entre dans le sujet en évoquant
neuf points irraisonnables du système communiste qui créent le
phénomène de la "société renversée". En voici quelques-uns :
• Pour le système dit "un million de fois plus démocratique", la
réalité est que le régime s’empêtre dans le problème de la
démocratie;
• Pour le système dit "symbole de la vérité", le régime est
toujours en train de trouver un remède pour guérir le mensonge;
• Le système socialiste est décrit comme plein de vie, tandis
que le capitalisme est "en agonie". Pourtant dans tous les cas
où les nations sont divisées en deux, et peu importe la manière
dont elles furent divisées, la moitié du "côté agonisant" reste
toujours meilleure que l’autre moitié, en capacité de travail
comme en qualité de production.
Dans cet écrit, Ha Si Phu a avancé certaines constatations
exactes sur la "pierre de base du socialisme scientifique qui
est la lutte des classes et son outil : la dictature du
prolétariat". L’auteur pose légèrement le problème de changement
obligatoire, décrit le phénomène où les gens s’emparent du
pouvoir et s’y agrippent, mentent, sophistiquent avec la
complicité d’intellectuels corrompus. Cet écrit n’est pas tout
simplement une étude sur la théorie, parce que plus tard,
l’auteur déclare fermement "Mais non ! Nous devons nous en
sortir ! (sortir de la maladie de mensonge).
Avec l’article "Quelques réflexions d’un citoyen" (1993), Ha Si
Phu a encore une fois confirmé son attitude pour lui-même et
pour les autres: "Etant un Vietnamien éduqué et cultivé, nul ne
peut se permettre d’un semblant d’ignorance, de se cacher dans
un coin pour s’occuper seul de son profit, mais il faut se tenir
au milieu d’un endroit bien éclairé et exposer sérieusement et
clairement ses idées hautement motivées par le sentiment de
responsabilité, par l’intelligence".
Quelle est la signification de cette confirmation si ce n’est
une ouverte déclaration d’union? Et quelle est son opinion dans
cette déclaration? Ceci : l’effondrement des régimes socialistes
de l’Europe de l’Est et de l’URSS a un caractère originel,
absolu et total. Il insiste sur un certain nombre de
constatations mettant en évidence les erreurs fondamentales des
concepts philosophiques, sociaux et politiques du marxisme
léninisme dont sont bourrés les communistes depuis des décennies
passées.
Ha Si Phu indique ouvertement que la forme de l’économie
socialiste, dont l’infrastructure est l’économie du marché et la
superstructure est un jeu de malignes tricheries, entraîne ceci
: "Ceux qui détiennent et l’argent et le pouvoir abuseront de
ces deux structures pour se livrer au jeu de "cache cache" : ils
se cachent parfois sous celle ci, parfois sous celle là, et
aucune loi ne peut les punir". Et "On est arrivé à cette
situation : la personne qui représente les ouvriers est l’homme
du patron (il s’agit du vrai patron, car l’ouvrier est patron
seulement en titre). La révolution a été échangée
clandestinement et le prolétariat est la classe qui a été trahie
la première". Dans cet article, l’auteur n’hésite pas à
manifester sa colère. Il s’emporte à cause du phénomène
d’inertie et de résignation autour de lui, de la tendance du
peuple "à chercher le moyen de vivre tout d’abord", de la
malhonnêteté des "dirigeants de la révolution". "Quand nous
essayons d’utiliser la dictature du prolétariat pour combattre
le capitalisme mais sans résultat, l’homme s’en serait servi
comme moyen pour se faufiler à travers la frontière de la libre
concurrence afin de devenir capitalisme ! Et si ce pressentiment
devenait la réalité, l’effort du socialisme serait d’avoir
fourni à l’humanité une voie de plus pour se transformer en
capitalisme, une sorte de capitalisme malhonnête et maladif..."
"...Comment s’opposer au socialisme? Le socialisme est
inexistant, comment peut-on s’opposer à quelque chose qui
n’existe pas au monde? Et puis, si cette doctrine n’est qu’une
aspiration, pourquoi m’obligez-vous à avoir la même aspiration
que vous? Je peux prouver que le socialisme n’est qu’une utopie
à laquelle Marx et Lénine s’opposaient énergiquement déjà".
(Extrait de la lettre du 2.9.94 adressée par Ha Si Phu au
professeur Phan Dinh Dieu, coopérateur du comité central du
Front de la patrie du Vietnam - session IV).
Avec "Adieu
à l’idéologie" (1995), on distingue clairement la
réaction décisive de l’écrivain de façon dure et absolue. Dans
cet écrit où certains pensent reconnaître un caractère érudit
dans le raisonnement, sa plume garde toujours le style ironique
pointé de mépris:
"Le marxisme léninisme est en train de se retirer hors de la vie
sociale, le parti reste encore là, mais l’âme marxiste léniniste
continue pas à pas de quitter ses membres. Cette doctrine
s’enfuit vers les régions encore peu éclairées par la lumière de
la démocratie pour y établir sa défense, des régions où les
pensées féodales persistent à vivre tant bien que mal, dans des
monts et forêts asiatiques, de génération en génération. Dans sa
vie en exil (du fait que sa patrie ne l’accepte plus), il a
perdu sa qualité d’être le drapeau guidant la guerre contre le
soi-disant capitalisme agonisant, mais il est employé comme une
technique pour gouverner, un outil pour cette fin. A partir
d’une doctrine internationale, il s’est réduit en un système
national ayant un caractère interne comme principe. Il était "la
fin", il est à présent "le moyen". Non seulement il est un moyen
de gouverner, mais encore il s’est transformé en moyen pour
transporter les prolétaires dirigeants vers le monde
capitaliste, trahissant ainsi son propre objectif au début. La
classe des travailleurs qui n’en est pas consciente assez tôt
sera sombrée comme un amoureux abandonné, seul devant les
dangers d’un monde en compétition folle de capitaux accumulés au
début, notamment lorsque la génération des communistes
fondateurs n’existe plus".
Ces quelques phrases simples montrent le soin apporté par
l’écrivain à l’emploi des mots. On peut dire que le contenu de
l’article "Adieu à l’idéologie" a frappé directement et
efficacement la philosophie et la politique marxistes
léninistes, la pensée de Ho Chi Minh, les dirigeants
communistes, les organismes du parti. On y retrouve des teneurs
déjà abordées dans les autres écrits mais développées plus
amplement et d’autres complètement nouvelles. Sans entrer dans
les témoignages décrits par l’auteur, le lecteur peut toujours
se faire un résumé comme suit:
"La substance des pensées de Marx Lénine sur la société se
rapporte à des pensées de féodalité et de renaissance
additionnées avec l’illusion du communisme primitif (ou illusion
d’esclavage) en pleine crise de croissance de la civilisation
industrielle.
"La doctrine marxiste léniniste n’est pas quelque chose de très
élevée et de très lointain qu’on ne peut atteindre, elle n’est
en fait qu’une espérance qui a été dépassée, une nouvelle autre
forme de la mode industrielle du féodalisme, laquelle avait été
dépassée par l’histoire depuis des siècles. Elle n’est pas cette
sorte de "plan secret de guide" plein de mystères à tel point
que pendant tout un siècle plus tard personne n’arriverait à en
comprendre l’exactitude, mais elle est tout simplement des
prévisions non sérieuses qui n’ont jamais existé dans la vie.
Dans un monde civilisé et informatique, un tel système de pensée
se désagrège de lui même sans avoir besoin d’être attaqué".
Pour ce qui concerne Ho Chi Minh et "sa pensée", quoique
l’écrivain emploie des mots très modérés et polis à son égard,
le lecteur réalise immédiatement qu’il ne suffit que quelques
phrases de son article pour balayer tous les mythes: "Utiliser
des troupes de fantômes puis n’arriver pas à les diriger, ce
fait a laissé un drame au peuple comme à sa vie privée... "Ho
Chi Minh n’est pas un penseur ..." L’oncle Ho possède beaucoup
de caractères traditionnels typiquement vietnamiens, dont la
tradition de la pratique, sans pensée spéciale ni orthodoxie; il
n’accorde pas d’importance aux raisonnements (sauf pour
sophistiquer si nécessaire). Il rassemble un peu de tout,
recourt à Confucius, Marx. Lénine, Bouddha, Jésus, Sun Yat
Sen....pourvu qu’il arrive au but".
Quant au niveau de réflexion de Ho Chi Minh, l’auteur est bref :
"Maintes fois, l’oncle Ho s’est référé aux autres leaders en
matière de pensée. Par exemple, il montre du doigt les portraits
de Staline , de Mao Tsé Tung pour calmer la pensée des cadres en
disant: "Je peux commettre l’erreur mais jamais ces messieurs
!....Je n’écris pas de raisonnements parce que l’oncle Mao l’a
déjà fait !.."
Ce qui est digne d’attention, c’est que l’écrivain, qui se
trouve juste au centre d’un milieu où la vie est excessivement
dure, a le courage d’exposer sa fidèle vision sur le sort du
peuple, suite à la soumission des dirigeants dans leurs
pourparlers dans l’ombre avec les étrangers : notre peuple
pourrait être une bande de canards, les dirigeants de notre pays
en seraient le propriétaire, et les Américains, le marchand de
canards.
"Si tous les deux, propriétaire et marchand gagnent beaucoup, la
bande de canards doit prendre garde et ne jamais s’empresser de
se bousculer pour profiter de la poignée de grains jetés par le
client".
"....Pour savoir à quel point le paravent est important,
essayons de l’arracher pour le jeter, des gens vont s’élancer et
le reprendre bien serré dans leurs bras pour le protéger, mieux
même que s’il s’agissait de la protection de leurs proches. Et,
si nous arrivons à nous en débarrasser, tout le Vietnam brillera
vivement. C’est à partir de ce moment que tout travail peut
commencer dans la transparence, que toute chose porte sa vraie
signification...."
" ...Comportons nous en hommes de bien pour laisser le marxisme
léninisme quitter notre peuple d’une façon officielle, comme une
séparation à l’amiable. Cette doctrine a pénétré au pays par une
voie secrète, notre pays est à présent indépendant, il vaut
mieux la reconduire par la porte principale. Laissons-la nous
quitter d’une façon claire...."
(Extrait de l’article "Adieu à l’idéologie") |